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Relancer son entreprise à la suite d'une catastrophe naturelle

« Les digues ont cédé. En quelques heures, pendant la nuit, les 17 000 m² de serres et 3,5 ha de plein champ ont été recouverts jusqu'à 1,30 m d'eau. Nous n'avons pratiquement rien pu sauver », relate Tristan Collet, le mari d'Aurélie Crétallaz.LE VERNEY

En 2015, les Ets horticoles et maraîchers Le Verney, installés à Gaillard (74), ont subi une inondation sans précédent. Aujourd'hui, si visuellement ils semblent avoir retrouvé un aspect normal, les conséquences de cette catastrophe, qui avait anéanti l'exploitation, sont encore bien présentes malgré l'optimisme des dirigeants. Témoignages d'Aurélie Crétallaz et Tristan Collet...

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Du 30 avril au 6 mai 2015, un épisode pluvieux particulièrement intense a touché la région d'Annemasse (74), provoquant des inondations, coulées de boue et mouvements de terrains. Plusieurs entreprises horticoles et maraîchères ont été touchées, dont l'EARL Le Verney. L'événement a fait l'objet d'un arrêté de catastrophe naturelle et calamités agricoles.Implantée à Gaillard (74), à proximité de la frontière suisse, l'EARL est située à la confluence de deux rivières montagnardes : l'Arve et le Foron. Le 1er mai 2015, les fortes pluies, associées à la fonte des neiges, provoquent une hausse importante du niveau de ces deux cours d'eau. « Le débit de l'Arve a atteint 920 m3/s ; or à 250 m3/s la rivière est déjà haute », explique Aurélie Crétallaz, qui a succédé à son père en 2002 à la tête de l'exploitation. Les digues ont cédé et en quelques heures, pendant la nuit, l'ensemble des 17 000 m² de serres et 3,5 ha de plein champ a été recouvert jusqu'à 1,30 m d'eau. « Vu la rapidité de la montée des eaux, nous n'avons pratiquement rien pu sauver, poursuit Tristan Collet, son mari. Cultures, matériels, et papiers administratifs, tout a été noyé. » La catastrophe a eu lieu au pire moment, début mai, quand les serres sont pleines et la production en début de commercialisation. Car l'entreprise produit des plantes en pots et à massifs, des plants de légumes et aromatiques, et du maraîchage. La montée et le retrait des eaux ont déposé entre dix et vingt centimètres de limons au sol ; de même des pots, des plaques de culture et des matériels ont été disséminés partout. Il a fallu attendre trois jours pour voir l'eau baisser (une seconde crue a eu lieu le 3 mai), avant de pouvoir accéder aux locaux et mesurer l'ampleur des dégâts.

« Le traumatisme est important, reprend Aurélie Crétallaz, ce n'est pas tant du point de vue financier que du point de vue moral. Nous consacrons tout notre temps à notre entreprise ; nous travaillons avec nos tripes... alors, voir tout anéanti en une nuit donne envie de laisser tomber. Deux éléments forts nous ont permis de remonter la pente : d'une part la réactivité et le soutien des assurances, et d'autre part le formidable élan de générosité qui s'est mis en place. Nous avons été très touchés. » L'événement a été relayé par des médias nationaux et la presse locale. Quarante bénévoles sont venus spontanément prêter main-forte. « Du coup, nous n'avons pas eu le choix : nous avons été poussés à repartir dès leur arrivée. Leur présence a été décisive, autant pour le travail réalisé, que nous n'aurions pas pu faire nous-mêmes, que moralement. Nous avons rencontré des gens incroyables, des chômeurs, des salariés qui ont pris des jours de congés pour venir nous aider. Des liens étroits se sont créés. Certains sont restés plusieurs semaines. Il a fallu un mois pour faire le plus gros du nettoyage. Dans un premier temps nous avons tenté de récupérer quelques plantes, ou des fournitures comme les poteries pour la décoration, mais en vain : les plantes n'ont pas pu être commercialisées, et les poteries imprégnées par les limons étaient inutilisables. »

Le soutien des bénévoles et de l'assureur

Les dirigeants de l'EARL ont par ailleurs reçu le soutien de clients, de fournisseurs et de confrères horticulteurs et maraîchers. « L'un d'entre eux a même organisé une soirée en notre faveur », poursuit Aurélie Crétallaz. De même, le maire et la commune de Gaillard ont participé à cet élan de solidarité. Le maire est venu « mouiller la chemise » avec les bénévoles. La municipalité a prêté du matériel, des groupes électrogènes, et des bennes pour évacuer les déchets. Et les bénévoles du Groupe d'intervention et de secours (GIS 74) ont, eux aussi, apporté leur aide. « Il faut s'imaginer dans quelles conditions nous avons repris le travail : il n'y avait plus rien. Nous sommes restés cinq jours sans électricité. Le matériel, l'outillage, même les chaussures et les habits de travail avaient disparu. Il était compliqué de trouver ne serait-ce qu'une feuille de papier ou un stylo. Beaucoup d'élus se sont déplacés ; ils nous ont apporté un soutien moral, et ils ont très certainement contribué au déclenchement du statut de catastrophe naturelle. »

Assureur de l'EARL, Gartenbau-Versicherung s'est rendu sur place deux jours après la catastrophe. « Très réactif, il a versé un premier acompte les jours suivants. » Le gros matériel, l'infrastructure, le contenu de la serre principale en verre (5 000 m2), ainsi que des bâtiments d'exploitation et des bureaux étaient couverts par le contrat d'assurances. Le règlement n'a posé aucun problème :

- cultures en cours prises en charge à 100 % de leur valeur (plantes en fin de culture) ;

- pertes de production liées aux cultures consécutives non mises en place (valeur diminuée du montant estimé des coûts de production non engagés) ;

- coûts de déblaiement et de nettoyage des serres par les employés et les entreprises extérieures pris en charge à 100 % ;

- ensemble des frais intrinsèques à la structure des bâtiments, remplacement des bâches de culture, et matériel pris en charge par la compagnie d'assurances.

« Le choix de l'assureur est un point crucial, indique Aurélie Crétallaz. Car selon le code des assurances, en cas d'arrêté de catastrophe naturelle, les compagnies ne sont pas tenues d'indemniser les pertes de cultures des productions horticoles (classées dans la catégorie des cultures non engrangées). Gartenbau-Versicherung, mutuelle d'assurance pour l'horticulture, le maraîchage et les pépinières, indemnise pour sa part ces pertes quelles que soient les circonstances. Si cela n'avait pas été le cas, nous n'aurions eu droit qu'au régime des calamités agricoles, soit environ 16 % de la valeur des cultures. La survie de l'entreprise aurait alors été sérieusement compromise. »

Les structures anciennes, et légères (tunnels), ainsi que les cultures de plein air n'étaient par contre pas couvertes par le contrat. « Quand on souscrit une assurance, on n'imagine jamais voir l'ensemble de l'exploitation détruite. On fixe des priorités. Nous avions estimé qu'il n'était pas utile d'assurer les tunnels ou les serres plastique compte tenu de leur état de vétusté. Mais, du coup, nous n'avons pas non plus assuré les cultures qui s'y trouvaient... Nous ne pensions d'ailleurs pas que c'était possible. » Pour toute cette partie de l'exploitation non assurée, c'est le régime des calamités agricoles qui est donc intervenu. « Cela nous a permis de toucher quelque chose (environ 16 % de la valeur de la production, compte tenu des différents abattements et taux d'indemnisation). Et même si le montant n'est pas très élevé, cette aide a été bienvenue. » Le dossier de calamités agricoles est toutefois complexe à remplir ; le dispositif est soumis à des critères précis (voir encadré). « Il faut estimer le montant des pertes, c'est très difficile pour des productions spécialisées. Heureusement, nous avons bénéficié de l'expertise des techniciens de la station d'expérimentations horticoles Ratho de Brindas (69), et de la FDSEA des Savoies (Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles). Après un tel événement, il y a beaucoup de choses à gérer en même temps : nettoyage, remise en état de l'outil de production, encadrement des bénévoles..., souligne Tristan Collet. Il est essentiel qu'une personne se consacre exclusivement à l'aspect administratif, aux relations avec les assurances, aux services de l'État, aux experts, aux demandes de devis... afin que les indemnisations puissent se faire rapidement. »

Un redémarrage rapide de la production

Le montant global des pertes a été estimé à 750 000 euros, soit plus de 80 % du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise. Sur cette somme, 450 000 euros ont été pris en charge par les assurances et les calamités agricoles. Le solde correspond, grosso modo, à la partie de la production non indemnisée, et les pertes en matériel. Seuls les plus importants étaient assurés (tracteurs, véhicules).

Il faut aussi tenir compte de la vétusté, et des différentes pannes et réparations qui ont eu lieu ultérieurement : les matériels comprenant une partie électronique sont rapidement tombés en panne ou ont rendu l'âme (tracteurs, machines à planter). « Nous avons pu bénéficier de l'aide du Crédit Agricole sous la forme de prêts et de reports d'échéances. En revanche, le Conseil départemental, qui s'était engagé - dans son journal - à dégager des aides financières, n'a pas donné suite à nos sollicitations. »

Malgré une période d'incertitude quant à la survie financière des établissements Le Verney, l'activité a néanmoins pu redémarrer rapidement, dès le mois de juin. « La double activité, horticole et maraîchère, a sauvé l'entreprise. La plus grande partie de notre chiffre d'affaires en horticulture se fait au printemps avec les plantes à massifs, les plants de légumes et aromatiques. Nous avons tout perdu en 2015. Par contre, pour le maraîchage, la production se répartit sur l'ensemble de l'année avec, pour certaines cultures comme les salades, des rotations courtes de un à deux mois. Nous avons donc pu remettre en culture rapidement, malgré le manque de matériel en état de marche. Nous avons eu la chance de bénéficier, à cette période-là, d'une forte ouverture commerciale au niveau du maraîchage, ce qui a permis d'augmenter le chiffre d'affaires sur ce secteur dès l'automne 2015. »

Pour la production horticole, où le contrecoup commercial a été rude, ça n'a par contre pas été le cas. « N'ayant pu livrer pratiquement aucun client en 2015, ceux-ci ont dû se tourner vers d'autres fournisseurs. En 2016, tous ne sont pas revenus vers nous, ou seulement en partie. Nous nous attendions à cette perte de clientèle, mais pas à ce point. C'est très difficile de remonter la pente. »

Un an et demi plus tard, Aurélie Crétallaz et Tristan Collet ont tiré quelques leçons de la catastrophe : « Il faut bien étudier les contrats d'assurance, penser à la sauvegarde externalisée des données informatiques et des papiers administratifs. » Si tous deux restent très marqués, ils mettent d'abord en avant le côté positif : « Aujourd'hui, nous essayons de nous détacher davantage de notre travail, de prendre du temps pour nous et notre famille. »

Claude Thiery

« Le maraîchage nous a permis de remettre en culture rapidement, malgré le manque de matériel en état. Certaines cultures comme les salades se cultivent sur des rotations courtes de un à deux mois », souligne Aurélie Crétallaz, qui a succédé à son père à la tête de l'exploitation.

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Quelles que soient les circonstances, les pertes de cultures sont indemnisées par la mutuelle d'assurance pour l'horticulture, le maraîchage et les pépinières, Gartenbau-Versicherung.

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Après un tel événement, il y a beaucoup de choses à gérer en même temps : nettoyage, remise en état de l'outil de production...

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